Courir, courir après la lumière...
Celle que je suis venu chercher au bout de la ligne droite tracée par le bus numéro 23, et quelques kilomètres de marche, m’attend depuis que j’ai recommencé la photo et même peut-être depuis encore plus longtemps.
Mon nouveau trépieds, juste acheté chez Ritz Camera, m’encombre dans son grand sac plastique mais j’ai rendez-vous avec Elle depuis si longtemps que rien ne saura interrompre ma course folle vers ma «promise». Un peu perdu au milieu de fantastiques bâtisses juchée au faîte d’une étroite falaise au sud du Golden Gate, je cherche cet endroit qui DOIT exister.
Je cherche une crique d'où j’essaierai de cueillir la clarté du milieu d'après-midi d’hiver nord californien.
Vous savez, cette limpidité «directionnelle» digne d’une idée fixe qui disparaît d’un mouvement de tête pour révéler une brume maritime dans laquelle les gouttelettes d’eau se mêlent au soleil dans un bain onirique.
D’autres spectateurs
me rappellent qu’il ne faut pas perdre mon objectif de vue même si de rares presences humaines
me détournent de mon obsession solitaire.
Courir, courir après celle qui m’attend la haut...
Elle tisse dans mes rêves des colliers de perles que celles de sueurs ne parviennent pas à noyer. Toutes les souffrances physiques de ma course effrénée ne sauraient me stopper. On raconte qu’un jour, un peintre venu là, au sommet de la colline, serait resté figé à jamais devant la révélation de cette vue.
Il est encore là, peintre devenu sculpture de la nature, arbre seul à apitoyer ceux qui s'arrêtent pour le contempler, lui.
Comme tous ces gens photographiant le pont, il était venu chercher la beauté, l’impression de grand, de puissance. Alors que ce pont en travaux,
pour essayer de prévenir le Big One, n’est, à lui seul que le témoignage de l’orgueil et de l’ignorance de l'humanité.
Alors que je traverse «au pas de fuite» le parapet, je comprends que le côté piéton a bien été choisi pour satisfaire le sensationnalisme d’une vue «unique» sur la ville, là-bas.
Deux tours de 227m de haut et une longueur de 2734m... Je cherche autre chose.
Un couple essaie de mimer une pose romantique alors qu’à cet endroit un des 11 morts pour le pont est peut-être tombé en 1937.
Je sais, je suis cynique et injuste mais j’ai mon rendez-vous égoïste, et le fait que l’on regarde mon T-shirt trempé derrière des pull-over et des blousons ironiques m’indispose un peu...
Et puis il faut encore passer sous le pont et gravir ces collines. Même la terre semble avoir accéléré sa rotation. Je vais râter mon premier rendez-vous.
En effet, il est un peu tard lorsque j'atteins le premier "monticule".
Au crépuscule, je me contente donc de faire comme tout le monde: prendre une jolie photo
comme pour signifier au pont qu’il se suffit à lui-même, qu’il est l’attraction de la région...
«Bravo le pont! Trop fort le pont!». J’y vois surtout comme une image d’antan, qui aurait alimenté mon fantasme de rendez-vous...
cette nuit sur ces monts chauves.
Seul à pied je remonte alors que les voitures... descendent!
La vie est ainsi ironique! Ils descendent, alors qu’ils pourraient facilement monter, ils partent alors qu’ils pourraient rester dans leurs abris roulants.
Moi, j’ai souffert pour venir ici. Je n’oublierai pas ma "promise", là-haut.
Au deuxième pallier, sur cette route déserte, désormais fermée à la circulation... encore une photo générale qui joue avec les couleurs
mais «petit pont», je commence à te cerner. Je commence à t’oublier en tant qu'élément de ce qui t’entoure et j’essaie de te percevoir.
Un troisième «étage» et je ne L’ai toujours pas trouvée.
C’est alors que je me rends compte de ma situation. Je ne suis plus qu’un objet abandonné au bon gré du vent qui a forci, des bruissements terribles de la roche qui s’effrite et se laisse couler à mes pieds pour se jouer de mon rythme cardiaque.
Les fantômes ont déserté ce lieu... trop vide pour qu’un fou vienne tester leur existence.
J’ai couru, couru... vais-je rester figé moi aussi?... face à mon échec!
Non, car, comme à Zipaquira, lors de ma découverte du sens du mot cosmique, tel Robinson et ses limbes du Pacifique aimant son île au-delà de l’esprit, j'éclate de rire (oui oui!), rouge de honte et de victoire.
Elle est un peu plus bas, entre les deuxième et troisième palliers. Je l’imagine dejà en rassemblant à l’aveuglette mes «ustensiles photographiques» dans l'obscurité totale.
Me voici ma promise! Révèle-toi dans toute la fusion des éléments pour rendre la vie au pont. Enfin vais-je le rapprocher de son "humanité" et illustrer comment il domine vraiment son monde...
Le souffle de l'océan me dicte: "rends-lui, d’une perspective écrasée, son sens de lien entre les hommes et de symbole indestructible d’une ville brillant de ses feux de lucioles si humaines".
Cette photo, j’en attendais la véritable «jouissance» depuis trop longtemps. Voilà pourquoi je me suis emporté!
Une dernière pour te dire au revoir, "joli" pont!
Comme quoi les mots sont universels, même si ce n’est pas le cas de leur sens! Quelle importance que les piétons ne puissent plus traverser après 18h30?!! Je ferai du stop sur un parking! Après-tout, "Porte Dorée", tu viens de flatter ma vanité, je te dois bien encore quelques émotions...
Courir, courir après les émotions...
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